10 MARS 1959

 

L’INSURRECTION DE LHASSA

1er au 10 mars 1959

Depuis plusieurs semaines déjà les rues de Lhassa se sont remplies d’hommes et de femmes venues du Kham, reconnaissables à leur accent et à leurs tenues, toques de fourrure et nattes mélées de fils de laine rouge, poignards à la ceinture. Ils campent un peu partout et notamment autour des grands temples de la capitale, le Ramoche, le Jokhang. Quittant la province orientale en proie à l’invasion chinoise, à laquelle s’oppose la résistance menée par Gompo Tashi , à la tête de l’armée nationale volontaire de défense, connue sous le nom de « Chushi Gangdruk »( quatre fleuves,six montagnes), ils ont gagné la ville sainte  dans une double intention, se placer sous la protection spirituelle du Dalaï Lama en se rapprochant de lui, mais aussi le protéger en faisant si nécéssaire barrage de leur corps aux menace que font peser la présence à Lhassa d’un corps expéditionnaire chinois lourdement armé.

  Le Dalaï Lama, 24 ans, s’est installé  avec son gouvernement , le Kashag, au Norbulingka, littéralement  le « Parc aux joyaux », le Palais d’été, plus confortable et moins central que l’imposant Potala.  La semaine précédente le jeune moine a consacré toute son énergie à l’examen de gueshe larampa (docteur en philosophie bouddhique) qu’il prépare depuis dix ans, qui se déroule en public au centre de Lhassa,  dans le monastère du Jokhang. Des milliers de moines et de nonnes ont également, à cette occasion, fait le déplacement vers la capitale 
Ces déplacements massifs inquiètent  les forces d’occupation chinoises.

Sous une apparence polies les relations du Dalaï Lama avec les autorités militaires chinoises sont loin d’être au beau fixe.En 1951, à Pékin, ses représentants ont dû signer, le pistolet sur la tempe , un accord en dix sept points, qui accepte le « retour » au sein de la mère patrie chinoise, moyennant l’engagement de cette dernière de maintenir  au Tibet une autonomie large et authentique.

Il reçoit beaucoup de visiteurs et n’ignore rien des exactions commises dans sa province d’origine, l’Amdo, et au Kham voisin par une armée chinoise endoctrinée qui s’en prend aux moines et aux lamas et accapare les terres des monastères, sous prétexte d’abolir l’ancien régime.

Soucieux néanmoins de préserver ce qui peut l’être, il a accepté l’idée d’une rencontre avec le général Chiang Chin-Wu,à l’occasion d’un spectacle de danse dont la date est finalement fixée au 10 Mars, au quartier général des troupes d’occupation. 

La veille , le chef des responsables de la sécurité, du Dalaï Lama le kusun depon, est  convoqué à l’état -major chinois,  ou un officier lui explique que la rencontre devant avoir lieu dans la simplicité, le  Dalaï Lama ne devra pas être accompagné par son service habituel de sécurité, mais seulement par deux gardes du corps non armés.

Dans la soirée la nouvelle se répand dans Lhassa comme une trainée de poudre.
En quelques heure, près de vingt mille Tibétains  encerclent le Norbulingka et empêchent le Dalaï Lama de sortir du palais .

Le 10 mars au matin trois émissaires se rendent au quartier général chinois pour annoncer au général Tan Kuansen, membre de l’Etat Major, que le Dalaï lama, retenu par la foule, ne se rendra pas au spectacle prévu. Colère du haut gradé, qui se fait menaçant à l’égard des « traitres » et des  « rebelles impérialistes », accusant le gouvernement Tibétain d’avoir organisé toute cette agitation contre les autorités chinoises.

Il suggère au Dalaï Lama de venir se placer sous sa « protection », dans les locaux même du quartier général ou il serait en sécurité.
Le soir plusieurs membres du gouvernement tibétain et les responsables militaires présents au Palais d’été signent une déclaration proclamant l’indépendance du Tibet et l’abolition de l’accord en 17 points.

Affichée dans les rues de Lhassa, la déclaration galvanise la population 
qui organise de nombreux cortèges au cri de « chinois hors du Tibet »
L’armée Chinoise riposte en tirant au canon sur les civils et les moines rassemblés et prend pour objectif la colline de fer (Chakpori) située juste en face du Potala réduisant en cendres le sanctuaire dédié au bouddha de médecine Sangye Menla .

Cela n’arrête pas les manifestants qui demeurent massés autour du parc aux joyaux. l’entourage du Dalaï Lama commence à envisager  un départ forcé.
 L’oracle de Nechung, consulté, murmure trois fois à l’oreille du jeune prélat un ordre explicite : « pars !Dés ce soir » et griffonne  un itinéraire précis pour sa fuite.
 Peu après, dans le courant de l’après midi, deux obus chinois endommagent un mur d’enceinte, sans atteindre le lieu de résidence du Dalaï Lama.

Le 17 mars au soir , les derniers préparatifs ont lieu.
 Après s’être recueilli une ultime fois dans la chapelle dédiée à Mahakala, sa divinité protectrice personnelle,  le Dalaï Lama sort dans la nuit fraiche. Laissons- lui la parole : « Vêtu d’un pantalon et d’un long manteau noir tels que je n’en portais jamais, je passai un fusil à mon épaule droite et jetai sur la gauche un thangka(peinture roulée) ancien ayant  appartenu au deuxième Dalaï Lama.Après quoi je rangeai mes lunettes dans ma poche. Le moment était venu de partir. J’avais très peur. Deux soldats arrivèrent, chargés de m’escorter jusqu’a la porte de l’enceinte intérieure…arrivés au mur extérieur , nous fûmes rejoints par le chef de mon cabinet, dont l’épée se devinait dans l’ombre. D’un ton rassurant il me dit à voix basse de rester à tout prix à coté de lui. Franchissant la porte, il annonça le plus naturellement du  mode aux gens qu’il effectuait une tournée d’inspection. C’est ainsi que la foule nous laissa passer. »

 Lhassa , au cours des trois jours qui suivirent  devint le théâtre d’un véritable massacre auquel  se livrèrent les militaires chinois.

Civils et combattants réfugiés dans les temples sont écrasés sous les bombardements, qui n’épargnent pas le palais du Potala. L’odeur de poudre et de sang envahit la vieille ville.
On compte de milliers de morts, 15.000, selon les chiffres des chinois eux-mêmes. Le monastère de Sera, à quelque kilomètres de la capitale est en grande partie détruit. 

Aucun journaliste, photographe ou cinéaste étranger n’était sur place.
Ce n’est que beaucoup plus tard que viendront les témoignages de ces atrocités.

Avisé  de la possibilité de départ du Dalaï Lama,  Mao Zedong aurait donné à ses troupes la consigne de ne pas l’en empêcher « si le Dalaï Lama et sa suite s’enfuient, notre armée ne doit pas se mettre en travers de son chemin…laissez les passer »

Sans doute n’imaginait - il pas que trente ans plus tard, le fugitif serait l’une des personnalités les plus populaires du monde, symbole de sagesse et de paix,  récompensé par un prix Nobel. 
Pour leur part les tibétains de l’exil et leurs nombreux amis dans le monde célèbrent tous les ans l’insurrection du 10 mars.


*Au loin la liberté, mémoires, quatorzième Dalaï Lama. Fayard
*Tibet mort ou vif, Pierre Antoine Donnet,Actuel Folio







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